30 avril 2024

Charles Maurras et la démocratie:

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       « Nous ne croyons pas du tout, nous n’avons jamais cru, jamais nous ne croirons que les vertus du peuple qui a fait, il y a moins de dix ans (1914-1918), de si grandes choses aient été diminuées par la paix. Telles elles étaient devant l’ennemi, telles elles vivent et durent : il n’y a pas de raison pour supposer qu’une multitude de braves gens capables de désintéressement, de patience, d’union, de discipline, d’énergie, de fraternité sous les balles et les marmites aient pu se métamorphoser en une cruelle bande d’animaux rapaces, acharnés à s’entre-déchirer pour s’entre-dévorer. Les spectacles offerts par la nation française peuvent être aussi différents que possible hier et aujourd’hui : ce ne serait que faute d’interprétation plus satisfaisante qu’il faudrait supposer cette transformation subite portant sur l’essentiel.

Quand on considère la suite des événements, on constate qu’il n’y a pas eu le moindre coup de baguette de mauvaise fée… Simplement la Loi a joué : la loi et la constitution de la République.

À la discipline imposée de la Mon-Archie de la guerre et des chefs qu’elle suscitait a succédé l’indiscipline consentie propre au règne de l’élection. Dès lors, comment eût fonctionné, comment eût subsisté l’oubli des divisions ? De ces divisions, partages et conflits de partis devaient sortir les nouveaux chefs que la loi constitutionnelle faisait un devoir de nommer. Pas de parti, pas d’élection. Pas d’élection, pas de gouvernement. Or, il fallait un gouvernement à la France.

Tout le mal est venu de là. La Mon-Archie de la guerre avait été assez forte pour empêcher ce mal. Le pays, pour durer, s’était accommodé du gouvernement au hasard qu’il avait à la date de la mobilisation, et celui-ci se renouvelait, il se fortifiait ou s’affaiblissait, il changeait ou revenait à sa première face, dans un minimum de régime parlementaire quotidiennement tempéré par la pensée de l’Ennemi et par la menace de l’Ennemi. Un système mauvais était ainsi atténué jusqu’aux limites du possible.

Le défaitisme et la trahison prêchaient dans le désert quand ils célébraient la valeur des luttes légales et des compétitions constitutionnelles, âme du régime républicain. Ceux qui en parlaient trop étaient envoyés au conseil de guerre, traduits en haute-cour, frappés de peines infamantes ou de balles moralisatrices. Ce châtiment des traîtres consolidait les braves gens. Ainsi gardaient-ils le moyen de rester fidèles à leur bon cœur. Les tentations perverses voyaient réduire à la plus simple expression leurs chances de succès et leur risque de diffusion. Mais la politique démocratique a été rendue à elle-même, avec le retour à la légalité de la paix. Son action corruptrice ne pouvait pas ne pas recommencer, ni son action diviseuse. Comment pratiquer l ‘union quand le régime de la discussion diviseuse a relevé tréteaux, comptoirs, coffres-forts ? Comment parler d’ordre quand c’est par le désordre que l’on arrive dans ce système ? Le désintéressement est fort beau : mais tous les exploiteurs du régime électif et de la parade parlementaire sont appelés, appâtés et polarisés par les primes énormes partout dissimulées, partout éclatantes, dans les profondeurs d’un budget de plus de cinquante milliards ? Mis à part les héros, les saints et les anges, quels hommes ordinaires y résisteraient ? Le fait est que beaucoup succombent. Il en est de même pour ceux que la douceur de leur nature inclinait à l’exercice de la fraternité. Quand le champ de bataille est transféré à l’intérieur du pays : quand on se bat légalement, constitutionnellement, de Français à Français, et que les enjeux sont tellement variés qu’ils vont du pain quotidien des citoyens à l’indépendance de leur patrie commune, il y a peu d’espérance de rappeler efficacement la fraternité nationale commune à tous. Déjà le poète romain, ému d’une horreur analogue, laissait tomber avec le même accent un ô cives ! Effrayé, scandalisé, impuissant : la compétition rituelle conduisait naturellement aux mêmes entre-tueries, d’abord morales, mais qui devaient finir également dans le sang vrai, rouge et chaud. Il n’est pas deux fortunes pour l’évolution de la démocratie. Tout s’y déroulera selon la même loi, qui dresse ville contre ville, classe contre classe, métier contre métier, maison contre maison. Le mot FRATERNITÉ peut être peint sur les murailles. Les graffitis sincères disent, au-dessous : Haine et Mort. Dès lors, et par l’effet direct et rationnel des institutions, les vertus qui ne sont pas arrêtées ou recouvertes sont, en quelques manières, dévoyées et retournées. C’est au service des haines civiles, c’est pour la mort des citoyens que se dépense la fraternité invoquée. Discipline, ordre, oui : à l’intérieur des factions. Endurance, patience, mais pour motiver à l’assaut du bien public ou de la fortune publique et pour faire de la République ce butin, ce partage qu’ont prévu et prédit tous ces théoriciens.

 

Reste sans doute une très importante majorité de bons citoyens que leurs études, leurs travaux, leurs plaisirs et leurs intérêts éloignent de la politique. Tout ce déchaînement de passions et d’intérêts cupides autour d’eux est assez violent pour les dégoûter de toute immixtion politique. La timidité l’emporte sur la bravoure, la crainte de se compromettre sur le civisme, le goût d’un loisir honteux sur le sentiment national. L’inertie des bons, devant l’activité des mauvais, fait un aspect particulier du morbus democraticus, le plus considérable peut-être par son effet. On ne les secoue pas, on ne les réveille pas au moyen des plus nobles ni des plus cinglantes paroles. A ces éléments inertes et stagnants du pays, gardez-vous surtout de parler des Morts, de leur gloire, ni de leur enseignement. Ils vous répondraient : – Qui donc est plus mort que nous-même ? Nous sommes morts même à la Mémoire, même à la Gloire, faute d’avoir trouvé dans les institutions de la paix les services, les protections analogues à cette aide qui, pendant la guerre, nous vint de la Nécessité et de sa Mon-Archie Le pis est que cette parole désespérée exprime plus qu’un découragement passager . Elle signifie un état moral et mental qui menace de durer au moins autant que sa cause corruptrice, la démocratie.

Des malheureux peuvent soutenir le contraire et chanter la triste chanson des fausses promesses et des espoirs mensongers. Aux verts retenues, aux vertus recouvertes ou mises en échec, le régime, afin de les mieux réduire ou de les mieux immobiliser, oppose un certain stock de vertus simulées dont le rôle est d’éterniser le mal qu’elles affectent de combattre.

Nous n’avons pas cessé, depuis la Paix, de voir et nous voyons encore un tas d’individus qui, retroussant leurs manches, se déclarent prêts à prendre le salut public à forfait pour que l’on fasse crédit à leurs qualités de héros. Héros de la guerre? Ils le disent. Leurs états de service, vus d’un peu prés, sont presque toujours inexistants et inventés. Ils n’ont pas fait grand-chose, ils ont souvent fait moins que rien, pis que rien. Mais la citation fausse, la croix captée ou usurpée composent le passé qui cautionne un brillant avenir de politicien. Combien d’aventuriers de ce genre se seront emparés des plus nobles associations de Combattants ! Combien ont ainsi prospéré aux dépens des misères, des douleurs, des courages, tirant de l’héroïsme vrai la fable alimentaire de leur avidité et de leur ambition. Les lustres écoulés, qui épuisèrent tant d’organismes magnifiques rongés par toutes les malarias de la guerre, n’ont point éteint la flamme du parasitisme fraudeur. Dans le déclin des politiciens de la veille, ces prétendants se disent qu’il y aura du bon pour eux. Même ils avancent, si peu que ce soit. Et bien que l’envie anxieuse aggrave leur jaunisse, ils n’ont pas laissé de devenir ronds et pansus, car il ne manque point de dupe pour les croire, quand ils proclament leurs talents et déclarent que le changement de personne qui les porterait au pouvoir changerait quelque chose, et même grand-chose, à l’universel désarroi. Ceux-là n’ont qu’un but : fermer les yeux au peuple français sur la cause du mal, obturer sa raison, endormir son intelligence, moyennant un hymnaire de  »mystique » nouvelle contenant des paroles de rénovation, de salut.

Mais il n’y a point de salut par les mots. Ce sont les choses françaises qui sont malades. Ces sont les réalités organiques du régime qu’il faut atteindre et qu’il faut changer, si l’on veut atteindre et si l’on veut changer quoi que ce soit au mal dont souffre le pays. L’ordre, la discipline, l’amitié, la paix intérieure sont des biens qui ne naissent jamais d’eux-mêmes entre les hommes. Et surtout si l’on vit sous l’empire du mal contraire ! Tout le désordre qu’un régime de désordre a installé dans le pays y sera maintenu et multiplié tant que durera ce régime. Il faut donc changer ce régime, à moins qu’on aime mieux glisser au point extrême où la force du mal contraindra à des réflexes de réaction et de défense comparables à ceux de la guerre, mais aussi coûteux, plus coûteux peut-être et de succès fort peu certain !

Il y a des pickpockets politiques, ils nous la font à la vertu. Défiez-vous-en. »

Extrait tiré du livre  »Entre le Louvre et la Bastille » de Charles Maurras. (1931).

 

Augustin du Réveil des Moutons

 

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