David de Pury, un bouc émissaire hors-sujet? – une lettre ouverte à Alexis Favre (Infrarouge 17.06.2020)
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https://www.rts.ch/emissions/infrarouge/11402095-films-rues-statues-le-grand-deboulonnage-.html
Je viens de m’avaler une biographie du personnage, sans doute non exhaustive, car aucun travail d’archive sérieux n’a jamais été fait sur lui. Je suis à même de l’affirmer. Motivé par l’article de Wikipedia, dont je te joins en copie la rubrique “problématique”, je découvre en effet que plusieurs affirmations ont été introduites récemment, sans aucune source sérieuse pour les appuyer. Pury était possiblement actionnaire d’une société qui pratiquait, entre autre, le commerce d’esclaves. La chose est toutefois incertaine. En revanche, il partageait une exploitation de diamants avec ladite société. Pury s’est enrichi dans le négoce de diamants et de bois précieux d’Amazonie, comme un certain Bernard-Henri Lévy en Afrique, notamment épinglé pour la gestion peu édifiante de ses employés sur ses exploitations. Outre le commerce du bois précieux, qui, à l’époque, serait progressivement passé d’une main d’œuvre indigène à l’emploi d’esclaves, les exploitations minières, particulièrement, employaient essentiellement des aliénés. C’était une pratique d’époque, mais cela ne fait pas de Pury un “criminel”, comme l’a déclaré ton intervenante. Ce que j’ai surtout vu, c’est un débat d’ignares autour d’un personnage qu’ils ne connaissent même pas. C’est sidérant de nullité, même si ce n’était pas le thème exclusif et réducteur du débat. Ce qui est sidérant, également, c’est qu’au même titre que Pury, Voltaire aurait été un criminel, soutenu et affirmé par ses propres écrits, alors que Pury n’était pas, à proprement parler, un avocat de l’esclavage au même titre que Voltaire. C’était un commerçant, ni plus, ni moins.
On peut se demander pourquoi personne ne touche à Voltaire, d’ailleurs! Peut-être parce que ceux qui ont été les plus actifs dans l’abolition de l’esclavage étaient souvent ceux qui en avaient autrefois possédés et bien profité… Il y a en effet une perspective commerciale derrière l’abolition. Assez évidente pour ceux qui comprennent tous les tenants et aboutissants de l’esclavage dans les temps modernes et de la servilité dans la société post-moderne.
A noter, enfin, qu’il y a eu plus de déportés slaves et irlandais en Amérique du Nord, mais qu’ils ont été affranchis plus tôt que les noirs, qui, loin de l’Afrique, n’avaient souvent pas de perspective en dehors d’une vie d’asservissement, toutefois sécurisée et parfois même intéressante pour eux. Cette dynamique fait d’ailleurs écho à la logique commerciale de l’abolition de l’esclavage (i.e. combien coûte un esclave, combien coûte un employé). Il suffit d’y songer. En dernier lieu, l’esclavage a quand même été le lot commun et antédiluvien de l’humanité, et la civilisation qui est à l’origine de son abolition est, curieusement, celle qu’on accuse aujourd’hui d’avoir été injustement esclavagiste. Si ce n’est schizophrène, c’est sans doute ironique et peut-être mérité, car les affranchis du XIXe siècle ont très vite redécouvert les dures lois de la concurrence économique et sociale, et de la survie en milieu désolidarisé et déresponsabilisé.
De là à penser que les mouvements d’émancipation et les mafia noires américaines, assez intimement liées, seraient apparues comme une sorte de revanche pour avoir, pour beaucoup, été privés de conditions de vie décentes sur sol américain, je n’oserais pas conclure ainsi ; bien que le sort nous laisse parfois songeurs… En tout cas, avec de tels invités, on n’était pas près de se poser des questions aussi fondamentales. Avec un tel plateau, tu ne pouvais pas faire autrement que de passer à côté de ton émission. N’y a-t-il vraiment plus personne à inviter? J’en pleurerais si cela ne m’amusait pas ; mais tout de même, c’est inquiétant!
A bon entendeur, TM
N.B. Pour la section « esclavagisme », fraîchement ajoutée à l’article Wikipédia sur David de Pury, on trouve trois sources constituées deux liens défaillants et d’un article du magazine “solidaritéS”, dont les propos ne disent pas du tout ce qu’ils sont censés appuyer. Alors, une question me taraude: n’aurait-on pas organisé un débat autour d’une fausse nouvelle? s
P.S. Avec le recul que je propose, on a un simple commerçant, riche parce qu’œuvrant dans certains « bons plans » de l’époque, avec les bons appuis, qui, pour entrer dans l’Histoire, fait don d’une bonne partie de sa fortune à la ville de Neuchâtel. C’est quasiment son seul fait d’arme et d’altruisme, et c’est la seule raison pour laquelle on l’a gratifié. C’est pourtant tellement évident, dès lors que l’on s’intéresse au personnage et au peu d’autres traces qu’il a laissées, aux difficultés que l’on semble rencontrer, si l’on fait une enquête sérieuse à son sujet. Il n’a jamais été honoré pour autre chose ; il n’a jamais été un grand homme d’une autre façon. On a beau tourner et retourner les choses ; avec le débat autour de sa personne, on a les deux pieds dans le hors-sujet.