28 mars 2024

Entretien avec Xavier Moreau sur la route maritime du Nord

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En cette période d’hystérie climatique, le réchauffement de notre planète n’est pas vu comme un danger pour tout le monde. Moscou table beaucoup sur le développement de la route maritime du Nord, une voie commerciale qui permet de relier l’océan Atlantique à l’océan Pacifique en longeant la côte nord de la Russie.

Xavier, merci de nous accorder cet entretien, c’est toujours un plaisir de te recevoir. Tout d’abord du point de vue géographique et climatique, quelles sont les particularités de cette route commerciale ?

Du point de vue géographique, c’est une route qui permet de relier la mer Baltique à la mer de Béring en longeant les côtes russes de l’Arctique. Son utilisation permet de raccourcir le trajet de deux semaines en moyenne par rapport au canal de Suez et d’échapper par la même occasion à la « police des mers américaine ». Le réchauffement du climat de cette zone est une réalité que la fonte de la calotte glaciaire rend incontestable. Peu importe l’origine de ce réchauffement, il est une bénédiction pour la route maritime du nord, car il est en passe de la rendre praticable toute l’année. La limite de cette route est la profondeur de certains passages qui rend pour l’instant impossible l’utilisation des bateaux comme les plus grands supertankers par exemple.

D’un point de vue technique, quels sont les moyens pour effectuer ces traversées et quels sont les ports majeurs le long de ces routes ?

À l’origine, les bateaux devaient être précédés de brise-glace, mais grâce au réchauffement climatique, c’est de moins en moins nécessaire d’autant plus que certains bateaux soient directement équipés pour pouvoir naviguer quasiment toute l’année. C’est le cas du « Christophe de Margerie » qui est un méthanier.

Quels sont les acteurs principaux du développement de ces routes ?

Le principal acteur est bien entendu la Russie que ce soit par des initiatives publiques ou privées. Ces dernières concernent l’augmentation de la flotte de bateaux adéquats notamment les brise-glace nucléaires qui sont fabriqués par Rosatom. L’Etat russe développe les ports et les lignes de chemin de fer qui permettent de les désenclaver en progressant vers le sud. À côté de cela, il y a des acteurs privés dont le plus connu est NOVATEK qui exploite le champ gazier de Yamal qui permet d’envoyer le gaz extrait soit vers l’Europe soit vers l’Asie. Ce genre de projet attire les investisseurs étrangers comme TOTAL et également des entreprises chinoises. Yamal SPG est le premier projet 100 % financé en euro ou en Yuan.

Au niveau du droit, ces eaux font principalement partie des eaux internationales. Comment la Russie compte avoir la mainmise sur ces routes ?

Non, cette route est essentiellement dans les eaux territoriales russes qui peuvent y exercer un contrôle total, ce qui chagrine beaucoup Washington. En revanche, les territoires et les zones économiques de l’Arctique qui regorgent d’hydrocarbures sont l’objet de disputes entre la Norvège, les Etats-Unis, le Canada, et la Russie, l’Islande, la Suède et le Danemark.

Ce projet participe aussi à la politique de développement de l’Extrême-Orient Russe. Peux-tu nous décrire les grandes lignes de cette politique de développement ?

La Russie a pris très tôt conscience qu’économiquement, il fallait se tourner vers l’Asie et que les ressources de l’Arctique lui permettraient d’accroître son potentiel. Elle a donc créé un ministère dédié qui doit s’occuper du développement de cette immense région. L’idée est que ces ressources de l’Arctique puissent être un fer de lance du développement de l’Extrême-Orient russe, non seulement les ports mais les territoires à l’intérieur des terres. Pour l’instant la route maritime du nord est utilisée essentiellement pour les hydrocarbures mais à terme elle pourra se diversifier. Le renchérissement du prix des carburants va rendre de plus en plus rentable ce passage plus court entre l’Asie et l’Europe.

Tu avais publié il y a quelque temps une vidéo sur ce sujet. Tu parlais alors de l’intérêt de ces routes pour contourner les sanctions. Avec les nouvelles sanctions occidentales suite à la guerre en Ukraine, l’intérêt pour ces routes de la part la Russie va-t-il évoluer ?

C’est déjà une priorité depuis plusieurs années, mais effectivement ça ne fera que conforter la Russie dans son choix stratégique. Toutes les marchandises qui empruntent cette route entre la Russie et la Chine sont totalement hors des radars de Washington, d’autant plus que les deux puissances ont renoncé au dollar ou à l’euro pour leurs transactions.

Quelle place pourrait idéalement avoir la France au sein de ce projet ?

EDF, Engie et TOTAL devraient y investir pour garantir nos ressources en hydrocarbures. La compagnie TOTAL a été visionnaire en investissant $13 milliards dans Yamal SPG et avait l’intention d’en refaire autant dans le projet jumeau Arctic SPG. Sous la pression de l’UE et de l’OTAN, elle y a renoncé… Pour l’instant.

Pour finir, cette région sera sûrement un nouvel El Dorado , tant les possibilités de développement sont vastes. Quels conseils pourrais-tu donner à un jeune Français qui souhaite tenter l’expérience, quels sont les secteurs ou postes privilégiés ?

Si l’on parle de la route maritime du Nord, le secteur des hydrocarbures me paraît essentiel ainsi que celui du fret, mais tant que les sanctions seront là, ce sera compliqué pour un Français de faire son trou. En revanche en Extrême-Orient russe il y a tout simplement tout à faire, et la Russie est en train d’y mettre des moyens colossaux, comme la construction d’une mégalopole d’un million d’habitants à Vladivostok.

 

Propos recueillis par Le Cosaque pour le Réveil des Moutons 

 

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