20 avril 2024

Histoire des relations Russo-Française : Partie 1 Pierre le Grand et la France

8 min read
5254 Views

Cette série d’article a pour but de retracer l’histoire des relations entre la Russie et la France, depuis le point de vue Russe afin de saisir les constantes historiques, dans les relations entre ces deux puissances. Cette série participera à l’élan qui vise à percevoir et comprendre les enjeux et les bénéfices immenses d’une éventuelle alliance entre notre Patrie et la Russie.

 

Avec le règne de Pierre le Grand (1689- 1725), la Russie va progressivement s’ouvrir sur l’Europe et devenir une puissance incontournable dans le concert européen. Revenons brièvement sur l’histoire des relations entre l’Empire Russe et la France. Nous verrons donc ces relations à partir du point de vue Russe afin de cerner en quoi cet acteur rechercha inlassablement à nouer une alliance avec la France.
Selon Hélène Carrère d’Encausse : « Avec Pierre le Grand, dont le règne devait changer radicalement l’image de la Russie en Europe et les relations de ce pays avec la plupart des puissances du continent, commence une époque marquée par deux figures royales exceptionnelles : Louis XIV en France, Pierre le Grand en Russie. Ces deux personnages vont dominer la scène politique européenne, et pourtant ils ne se seront jamais rencontrés. »

Très vite, après être monté sur le trône en 1689, Pierre le Grand montre de formidables qualités intellectuelles tant sur le domaine politique que militaire. Ce géant de deux mètres se distingue par un sens stratégique marqué. Il entend alors affronter les deux ennemis principaux de la Russie, le puissant Royaume de Suède au Nord, et l’empire Ottoman au Sud dès 1696. Il prend alors Azov cette année-là et offre à son empire l’accès tant recherché à la mer Noire. La Russie, jusqu’alors puissance continentale, devient enfin une puissance navale.
Après cette campagne victorieuse, il rentre en Russie avec son projet fou. Il envoie en Europe une Grande Ambassade, forte de deux cent cinquante personnes afin de découvrir ce continent. Le Tsar en personne participe au voyage.  » Ayant remporté la victoire sur l’empire Ottoman, il fallait la consolider. Il fallait à la Russie des alliances contre les Turcs. Il fallait aussi apprendre de l’Europe les techniques, les idées qui avaient assuré son progrès. La grande ambassade sera pour le tsar de vingt-quatre ans le couronnement de son éducation et la chance de faire accepter la Russie par l’Europe », nous rappelle Carrère d’Encausse

 

Il passe alors par l’Allemagne, la Hollande, l’Angleterre. A chaque fois, il est reçu avec les plus grands honneurs lors de somptueuses fêtes. Il y apprend les coutumes européennes et y tissent des liens en vue du commerce et des sciences. Car Pierre le Grand demeure un grand esprit qui souhaite ramener les plus belles intelligences d’Europe dans son empire. Or dans cette prestigieuse tournée, la puissance vers laquelle il souhaite le plus se rapprocher, la France, ne le reçoit pas. Louis XIV voit d’un très mauvais œil la victoire Russe contre les Ottomans. A cette époque, l’empire Ottoman demeure l’allié incontournable de la France dans sa lutte contre les Habsbourg. Louis XIV est alors l’homme le plus influent du continent, et l’empire Russe, qui est selon lui arriéré, va à l’encontre de sa politique contre la maison des Habsbourg. C’était alors s’attaquer à un des piliers de la politique française selon Saint-Simon.
De son côté, « Pierre le Grand était indigné par le soutien que la France avait apporté à son adversaire, soutien d’autant plus étonnant à ses yeux qu’il consacrait l’alliance d’un souverain chrétien avec un Etat musulman contre un autre Etat chrétien. Au XVIIème siècle une telle alliance était difficile à concevoir pour la Russie qui se disait héritière de Byzance. » souligne très justement Carrère d’Encausse.

De plus, la relation entre la Russie et la France ne s’améliora guère lorsqu’au retour de sa grande ambassade, Pierre le Grand décida de s’attaquer à la puissante Suède. Autre allié fondamental de la France qui lui rendit tant de service durant la guerre de Trente Ans. (cf. Guerre de Trente Ans, par Henry Bogdan) Pour la Russie, la Suède était un ennemi vieux de plusieurs siècles. L’enjeu était fondamental puisqu’il permettrait à la Russie un accès à la Baltique. Les deux piliers de la politique de Pierre le Grand étaient clairs. Ouverture sur l’Europe, alliance matrimoniale avec des maisons royales, afflux des savoirs et techniques vers son empire, et enfin, ouverture de la Russie en tant que puissance maritime par un accès à la mer Noire au Sud et à la Baltique au Nord. Dès 1703, Pierre reprit aux Suédois l’Ingrie et s’installa sur les bords de la Baltique. C’était une victoire totale pour le tsar. Il décida alors de fonder sa capitale sur les bords de la Baltique, une ville qui allait porter son nom, Saint-Pétersbourg. « Les victoires de Pierre le Grand sur l’Empire Ottoman et sur la Suède ont bouleversé le paysage politique européen. La France ne peut plus compter sur la Suède pour contenir l’Autriche, alors que l’influence des Habsbourg ne cesse de croître. Il lui faut trouver un nouvel allié pour jouer ce rôle, n’est-ce pas le moment de songer à la Russie ? » demande l’historienne.

 

Afficher l’image source

 

 

A la mort de Louis XIV en 1715, s’ouvrit une nouvelle période d’espoirs pour la diplomatie russo-française et pour le projet de Pierre le Grand. Pierre le Grand a de vastes projets, il parlemente avec le régent par voie diplomatique. Il souhaite marier sa fille Elisabeth avec le futur Louis XV, alors âgé de sept ans. Face aux hésitations, l’Empereur se déplace en personne en France. En 1717 le tsar est reçu dans un voyage grandiose où on lui prodigua tous les honneurs et toutes les attentions que l’on doit à un souverain prestigieux. Cette reconnaissance symbolique de l’importance du tsar marque un tournant dans les relations entre ces deux puissances. Deux jours après avoir rencontré le régent, Pierre rencontre l’enfant-roi. La scène a été maintes fois décrite où l’empereur de deux mètres prend l’enfant dans ses bras. Pierre visite alors tout ce qui peut être visité dans Paris, hors de tout protocole. Il se rend à l’Académie des Sciences dont il deviendra membre en montrant son érudition. Il visite le jardin des plantes, les casernes, des forteresses Vauban, la Sorbonne et accepte même d’étudier la question de l’unification des églises d’Orient. Pierre le Grand laissa en France un souvenir remarquable. Saint-Simon est alors représentatif du respect qu’inspire le monarque Russe, mais avec la réserve et le mépris envers son pays si lointain : « On ne finirait point sur ce tsar si intimement et véritablement grand, dont la singularité et la rare variété de tant de grands talents et de grandeurs diverses en feront toujours un monarque digne de la plus grande admiration jusque dans la postérité la plus reculée, malgré les défauts de la barbarie de son origine, de son pays et de son éducation. » Cette citation illustre parfaitement l’ambivalence entre le respect qu’inspira le tsar lors de sa visite, et le mépris envers son empire exotique.

 

Bien qu’ayant obtenu des accords diplomatiques avec la France, le tsar à son retour fut déçu et insatisfait face à tant de réserve. La France souhaitait alors ménager sa fragile entente avec l’Angleterre qui craignait l’alliance de ces deux puissances continentales.

La guerre Russo-Suédoise reprit en 1721 et se conclut par l’éviction de la scène politique de la Suède. Pierre le Grand poursuivit sa politique d’alliance matrimoniale. Après le rejet de la Reine Mère quant au mariage du futur Louis XV, le tsar se tourna vers le Duc de Chartres, de la maison des Bourbons. Il promit la main de sa fille et le trône de Pologne. Cependant, Louis XV monta sur le trône en 1723, et le Duc de Chartres finit par épouser une princesse Allemande. Pierre, lui, mourut en 1725 et fit couronner sa femme, Catherine Ière. A sa mort la Russie avait fait un bond de géant. Il avait fait de la Russie une puissance européenne majeure et lui donna deux accès aux mers au Nord et au Sud. Il échoua cependant dans son projet de marier ses filles avec la maison royale de France. Pour Hélène Carrère d’Encausse,  » le refus de considérer une telle alliance était particulièrement dommageable. La solution de Pierre le Grand, un roi de Pologne commun aux deux dynasties, aurait eu un double avantage. Elle aurait consolidé l’alliance russo-française en transformant un pays allié et instrument de la politique française en outil d’une politique commune. Et l’éternelle question de la succession polonaise n’aurait plus été entre la France et la Russie, l’occasion d’un conflit, mais celle d’une politique concertée. »

 

Source: La Russie et la France: De Pierre le Grand à Lénine. Hélène Carrère d’Encausse; Ed. Pluriel.

Article écrit par Le Cosaque du Réveil des moutons. Merci au camarade Arthur pour la correction.

Soutenez le Réveil des Moutons en faisant un tour sur la boutique ou par don spontané : manulrdm@gmail.com / lereveildesmoutons@outlook.fr  ou en MP sur les réseaux sociaux

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *