Jacquerie paysanne, un énième feu de paille.
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« Le paysan est peut-être la seule espèce d’homme qui n’aime pas la campagne et ne la regarde jamais. » Jules Renard
Ainsi donc comme prévu, en dépit des grandiloquents discours et des effets de manche qui menaçaient d’affamer Paris, assiégé par la paysannerie motorisée (et lourdement endettée), tous ces braves gens s’apprêtent à rentrer à la niche.
Quelques promesses, un peu de pognon magique et des arrivées prochaines de larbins très français sur leurs exploitations hautement patriotiques (et chimiques) auront eu raison de leur « détermination », de leurs supplications : https://twitter.com/BFMTV/status/1753032227443683747
Cette introduction tranche probablement avec l’écrasant consensus prévalant dans les milieux alternatifs, dissidents ou que sais-je encore via lesquels vous tentez, chers lecteurs, d’échapper à la pravda et aux « médias de grand chemin ».
Car bien entendu, vu de loin, comment ne pas soutenir inconditionnellement un tel mouvement, qui plus est dans un tel contexte ?! Comment ne pas rêver à une convergence des luttes, à une synergie des colères légitimes de tant de corporations diverses face à ce Système ? Et cela d’autant plus que cette grogne des agriculteurs a démarré au Pays-Bas il y a un an puis tout récemment en Allemagne avant de s’étendre à la France, la Belgique, mais aussi au Portugal, et même en Europe centrale (Pologne, Hongrie, Slovaquie, Bulgarie, Roumanie) sur fond de guerre, d’adhésion à l’Union européenne et de concurrence déloyale en Ukraine.
Partout, le mécontentement est observé, partout des actions sont menées, partout, invariablement, elles ne débouchent sur aucune avancée significative.
Il convient donc à mon sens de s’interroger sur la pertinence de tels modes d’action, sur les organisations qui les chapeautent et enfin sur la nature des revendications, ce qui implique l’émergence d’une vision politco-historique cohérente et opérative en lieu et place des « appels aux pouvoirs publics », aux « politiques », aux Etats ou à Bruxelles.
Jadis, la sagesse paysanne enseignait qu’il est trop tard pour fermer l’écurie lorsque le cheval a été volé. Aujourd’hui, les lycées « agricoles » enseignent les programmes dictés par les banques, les vendeurs de machines agricoles, les cartels de l’agro-industrie et de la pétrochimie. À l’instar des facultés de « médecine » qui enseignent les impératifs de vente de Big Pharma.
Loin, très loin de l’image d’Épinal que se font les citadins du XXIe siècle, en particulier s’ils sont d’estrem drouate, les jeunes agriculteurs parlent du prix et du nombre de chevaux de leurs tracteurs, de levier d’endettement, d’amortissement et de plan de financement et ressemblent étrangement aux homoncules de centre-ville qui refusent catégoriquement de manger de la viande :
paysan froncé enraciné, 2024
En 1900, il y a à peine plus d’un siècle, un Français sur deux travaillait dans les champs. Au début des années 80, les agriculteurs représentaient 8 % des emplois en France, ils sont moins de 1 % à présent.
Entre ces deux dates, la fièvre cocardière savamment et perfidement distillée par la Gueuse et ses hussards noirs avait envoyé aux abattoirs (((démocratiques))) Un million et demi de Gaulois ; en avait mutilé et estropié le triple.
Depuis, la chute est vertigineuse, abyssale, et à mesure que le crash final s’approche les derniers survivants s’agitent, se raidissent, s’emportent. Ils sentent que leur fin est proche, actée de longue date.
Mais avant d’y revenir, attardons-nous rapidement sur les deux premiers axes qui rendent, selon moi, toute tentatives de révoltes perdues d’avance à l’heure actuelle.
En premier lieu les modes d’action : dans nos sociétés contemporaines féminisées et régies par la dictature de l’image, de la communication et des « bons » sentiments, l’idée même de violence est intolérable. Or ironiquement, c’est précisément en raison du caractère potentiellement violent de cette fraction de la population (ontologiquement et du fait de leurs équipements mécanisés) qu’ils bénéficient d’une certaine marge de manœuvre de la part des autorités. Le Système et ses hiérarques souffreteux ont pris grand soin de retenir leurs milices, de transiger, de négocier. De tractations d’épiciers en promesses hypocrites, feignants l’empathie, ils ont neutralisé la révolte, forcé la main des manifestants en vue de converger vers Paris (et Bruxelles) se coupant ainsi de leurs bases, renonçant à l’avantage du terrain et du nombre. Hypnotiser par deux siècles de jacobinisme forcené, toute révolte sociale d’ampleur en France vient systématiquement s’échouer en bord de Seine en dépit du bon sens le plus élémentaire. A des centaines de kilomètres de chez soi, la logistique devient vite un problème insurmontable, l’impossibilité de tenir dans la durée en découle pour ne rien dire de l’ineptie tactique visant à se regrouper autour de la place forte des fondés de pouvoir de cette oligarchie cosmopolite qui nous opprime, nous oppresse, nous spolie, nous affaiblit, nous remplace.
Nassés par le gros des effectifs de police et de gendarmerie qui aurait du être déployé sur tout le territoire dans une stratégie de révoltes locales multiples, ne reste rapidement plus qu’à accepter bon gré, mal gré, les miettes que la vermine politicienne daignera bien vous jeter du haut de sa tour d’ivoire p(h)arisienne.
Le second problème fondamental dans ce type de révoltes est la peste syndicale et son corollaire qu’est le prétendu état de droit. Fruit pourri de l’utopie démocratique, ce mode d’organisation obsolète et néfaste empêche par construction tout changement de paradigme. La FNSEA majoritaire chez les agriculteurs est l’interlocuteur privilégié de l’Etat et cornaque fermement toutes velléités d’émancipation de leur base à grands renforts de manipulations et de corruption généralisée. Ce syndicat tenu par les apparatchiks des kolkhozes céréaliers de la Beauce notamment a des intérêts radicalement opposés à ceux des « propriétaires » des sovkhozes dont les exploitations sont plus petites et plus diversifiées (maraîchage, élevage, polycultures). En effet depuis l’immense vague de mécanisation d’après-guerre, peu à peu, le nombre de petites fermes, incapables d’investir massivement, s’est réduit à peau de chagrin et ce processus est toujours à l’œuvre 70 ans plus tard. Cette concentration s’attaque désormais aux exploitations de taille moyenne, dans un phénomène de soviétisation singulier.
Le virage opéré par l’agriculture française (et européenne) en vue de produire plus et moins chère a été dès l’origine pilotée dans une forme ou une autre d’économie dirigée et planifiée par l’Etat d’abord par l’UE ensuite avec la PAC.
De sorte que les paysans soient des fonctionnaires qui s’ignorent soumis à une bureaucratie froide et implacable qui édicte ses normes, ses quotas, ses oukases en tout genre. Et bien sur ses subventions. Cette bureaucratie loin d’être indépendante et autonome subit le lobbying acharné des cartels bancaire et pharmaco-chimique dont les « paysans » sont les nouveaux koulaks, les injonctions des politiciens « nationaux », est soumise au politique et enfin à l’idéologie profonde des véritables propriétaires de cette superstructure technocratique.
Ainsi, l’agriculteur français évolue dans un environnement dirigiste et étatique conçu pour administrer cette révolution verte (mécanisée et productiviste) tout en atténuant sa brutalité et un cadre idéologique libre-échangiste et mercantile le mettant en concurrence avec les paysans du monde entier.
Ce qu’il a accepté aux détriments de millions d’agriculteurs français disparus, éliminés, éradiqués (et dont il a souvent racheté à vil prix les terres) ou suicidés faute d’avoir pu accéder aux capitaux, aux marchés internationaux, à la modernisation, à l’application de normes toujours plus drastiques ; il le refuse pour lui-même.
A cette contradiction profonde pas nécessairement assumée ni formalisée par ailleurs, s’ajoute une seconde qui sera mon dernier point, celle de la mutation de ce Système productiviste en un Système de décroissance généralisée.
Tout cet édifice de normes, de quotas et de subventions après des décennies de politiques résolument productivistes, se transforme peu à peu (et via les mêmes outils de gestion centralisée) en une machine à baisser drastiquement et à grande échelle la production agricole française et européenne.
Ceci n’est nullement un plan secret fantasmé par des cerveaux malades ou un quelconque complot. Il s’agit simplement d’une partie du Great Reset du World Economic Forum et des admirateurs 2.0 de Lénine comme Klaus Schwab :
Ces gens-là ne cessent depuis une dizaine d’années de littéralement saturer l’espace politico-médiatique de leur propagande réchauffiste. Nous allons tous, comme avec le rhume 19, mourir sous l’effet du changement climatique et pour avoir une chance de nous en sortir, il faudra plus qu’un vaccin sans risque et efficace !
Simplement ne plus manger de viande et des insectes en lieu et place, vivre dans des clapiers hors de prix mal chauffés, renoncer à sa bagnole, à faire des gamins, à toute forme d’indépendance ou de possession matérielle même modeste.
Vous ne posséderez rien et vous serez heureux, il ne faut pas avoir peur (sauf de la température de l’air et du méchant CO2 qui fait pousser les forêts) …
Face à cela, évidemment les paysans français ne sont pas armés, probablement à peine au courant, et l’on comprend sans peine que d’exiger d’interdire tel ou tel accord de libre-échange, de supprimer telle ou telle norme sur les poisons dont ils arrosent leurs terres (en théorie) n’est pas de nature à répondre à l’immense transformation à marche forcée de l’Europe en un goulag woke, décroissant et va-t-en guerre.
Il conviendrait plutôt de s’emparer de ces sujets, de se former à comment résister efficacement et collectivement, de combattre cette propagande ridicule qui sert d’alibi à la mise en coupe réglée des populations, de se préparer aux temps incertains et difficiles qui s’annoncent.
A moins que l’on fasse le pari comme les gros bonnets de FNSEA de sacrifier les autres pour se maintenir soi-même. C’est un pari qui s’entend et qui a fonctionné jusqu’ici. Mais alors dans ce cas, de grâce, ne parlez pas de politique, ni de peuple ou de bien commun. Et encore moins de nous nourrir.
Article écrit par Jules du Réveil des Moutons
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Salut. Il existe une page facebouc de ce site ? Merci pour votre travail, félicitations.
Bonjour
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Merci à vous