19 avril 2024

La déroute totale de Marine Le Pen et de sa stratégie de dédiabolisation

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LE SECOND TOUR des élections régionales et départementales a confirmé, et bien souvent aggravé, les tendances observées lors du premier tour. L’abstention, très élevée le 20 juin, est restée extrêmement forte une semaine plus tard, ne baissant que d’un point (65,7 au lieu de 66,7 %). Les appels à la mobilisation de la classe politico-médiatique, et singulièrement ceux de Marine Le Pen aux électeurs qu’elle avait morigénés le soir du premier tour, à l’instar d’un rentier qui attend son coupon ou d’un actionnaire ses dividendes (dixit le journaliste Eric Zemmour), n’ont manifestement pas été entendus. Et cette fois-ci on ne peut pas dire que c’est par manque d’information du grand public. Les media audiovisuels, les chaînes d’information régionales et en continu, les quotidiens régionaux et nationaux ont largement parlé de ces élections pendant l’entre-deux-tours. Que l’on ne vienne donc pas nous dire que les Français ont déserté les urnes le 27 juin parce qu’ils ignoraient qu’il y avait deux scrutins. Les votes blancs et nuls sont également très élevés, ce qui témoigne, tout comme l’abstention, et peut-être plus encore que cette dernière, de l’insatisfaction des électeurs à l’égard de l’offre politique.

Les candidats de la majorité présidentielle sont tous étrillés. La République en marche et son allié du Modem ne réunissent que 7,11 % des suffrages exprimés, moins de 3 % des inscrits. Jamais un parti au pouvoir n’avait obtenu un score aussi minuscule dans des élections intermédiaires. Il faut dire que dans les faits le parti présidentiel n’existe pas, tout repose sur la personne d’Emmanuel Macron, et tout laisse à penser que, lorsqu’il aura quitté l’Elysée, son parti, seulement destiné à asseoir son ambition, ne lui survivra pas. Il ne dispose en effet d’aucun réseau d’élus locaux, ce qui est une faiblesse, car on ne peut s’appuyer dessus en cas de difficultés ou de coups durs. La République en marche est largement un parti hors sol comme l’est son chef, ex-banquier d’affaires mondialiste volant d’un avion à un autre, sans cesse sur le tarmac des aéroports et nullement enraciné. La majorité présidentielle qui ne contrôle aucune région ni aucun département a encore perdu plus de trois points entre le premier et le second tour, passant de 10,53 % à 7,11 %, preuve que son maigre électorat n’est même pas fidélisé. Ce qui devrait être une source d’inquiétude pour le chef de l’Etat en vue d’une réélection qui s’annonce beaucoup plus compliquée que prévue. Rappelons que depuis l’instauration du quinquennat aucun président n’est parvenu à se faire réélire. Ni Nicolas Sarkozy en 2012, ni François Hollande en 2017, qui n’a même pu se représenter, tellement les intentions de vote en sa faveur étaient maigrelettes (moins de 10 %).

AUTRE LEÇON de ce scrutin, tous les sortants en métropole ont été réélus : cinq régions restent à gauche (la Bourgogne-Franche-Comté, la Bretagne, le Centre-Val-de-Loire, la Nouvelle-Aquitaine et l’Occitanie), sept à droite (Auvergne-Rhône-Alpes, Grand Est, Hauts-de-France, Ile-de-France, Normandie, Pays de la Loire, Provence-Alpes-Côte d’Azur), la Corse restant aux mains des “régionalistes”. Les présidents sortants étaient arrivés largement en tête au premier tour, sauf en PACA. Il n’est donc pas surprenant de les voir réélus, même si leurs scores sont souvent très impressionnants : en triangulaire la socialiste Carole Delga frôle les 58 % en Occitanie, le LR Laurent Wauquiez dépase les 55 % en Auvergne-Rhône-Alpes, Xavier Bertrand obtient plus de 52 % dans les Hauts-de-France, et en quadrangulaire Valérie Pécresse flirte avec les 46 %. On mesure là l’importance de l’implantation locale qui permet de conserver des fiefs quand les vents sont contraires au plan national et d’envisager une reconquête du pays à partir de ces territoires. Tout miser sur l’élection présidentielle, et uniquement sur elle, est une grave erreur et une vraie faiblesse. Car en cas de défaite lors de ce scrutin, il ne reste plus rien, plus de bases auxquelles s’accrocher et à partir desquelles on peut repartir, rebondir. Le Parti socialiste et les Républicains restent plus que jamais à l’issue de ce double scrutin les deux principales formations implantées au niveau local. Et les Républicains sont même le principal parti actuellement au niveau municipal, départemental, régional et sénatorial. La droite parlementaire dirige sept régions métropolitaines sur 13 et contrôle 64 départements métropolitains sur 95. La droite institutionnelle prend cinq départements à la gauche, dont le Finistère et le Puy-de-Dôme. La gauche en récupère deux (la Charente et les Côtes-d’Armor) alors que le PCF perd son dernier bastion dans le Val-de-Marne.

Les Républicains retrouvent incontestablement le sourire et des couleurs et ils peuvent de nouveau rêver à l’Elysée qu’ils n’occupent plus depuis la défaite de Nicolas Sarkozy en 2012. Leur difficulté, ce n’est pas l’absence de candidatures, mais le trop-plein. Si seul Xavier Bertrand s’est déclaré officiellement à ce jour, et ce dernier sort incontestablement renforcé de ces régionales où il a très largement remporté, tant au premier qu’au second tour, son duel avec le RN, faisant plus du double de ses voix, il ne fait guère de doutes que d’autres personnalités se déclareront au plus tard cet automne. Valérie Pécresse, brillamment réélue dans la région francilienne, a déclaré qu’elle réfléchirait pendant l’été à une possible candidature présidentielle et elle s’est prononcée pour l’organisation de primaires de la droite et du centre, comme fin 2016. On imagine mal également Laurent Wauquiez ne pas se déclarer, après sa très confortable victoire en Auvergne-Rhône-Alpes, où le score du RN a été divisé par deux, et même un peu plus en six ans. Et on ne peut exclure d’autres candidatures comme celle de François Baroin ou du patron des députés Républicains au Sénat, l’ex-villiériste Bruno Retailleau. S’ils savent gérer la compétition des ambitions avec un mécanisme de sélection accepté par tous, alors en effet les Républicains peuvent légitimement espérer jouer à nouveau les premiers rôles au niveau national. Mais encore faut-il qu’ils y parviennent. Jusqu’à présent Xavier Bertrand a toujours dit qu’il ne participerait pas à des primaires. Infléchira-t-il sa position d’ici cet automne ? Ou cherchera-t-il à passer en force au risque de déstabiliser gravement sa famille politique ? Nous en saurons bientôt plus sur ce point, mais de toute façon cela n’a qu’un intérêt somme toute limité car, quel que soit le candidat LR choisi, qu’il ait une image droitière (Wauquiez, Retailleau et, dans une moindre mesure, Pécresse) ou centriste (Bertrand, Baroin), s’il devient chef de l’Etat, il poursuivra dans tous les domaines la politique de Macron. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles de plus en plus de Français désertent les urnes : ils ont compris que, quels que soient leurs votes, ce sont les mêmes politiques qui sont menées et ce sont eux qui en subissent les conséquences funestes dans leur vie quotidienne.

OUTRE la RÉPUBLIQUE en marche, l’autre grand perdant de ce double tour de scrutin régional et départemental est incontestablement le Rassemblement national. En pourcentage, en nombre de voix, en quantité d’élus. Le FN obtenait 27,10 % au second tour des régionales de 2015. Le RN en recueille 8 de moins six ans plus tard (19,05 %). Le FN obtenait près de 7 millions de voix (6 820 447) le 13 décembre 2015. Le RN en obtient moins de 3 millions (2 908 253) ce 27 juin. Le parti de Marine Le Pen a donc perdu quelque quatre millions de voix des régionales de 2015 à celles de 2021. C’est une chute spectaculaire. Le nombre des élus est également en forte baisse : le FN avait réussi à faire élire 358 conseillers régionaux dans toute la France métropolitaine, Corse comprise, en 2015. Cette année, il n’en fait élire que 252, soit 106 de moins. Soit une chute de 30 %. Et toutes les régions sans aucune exception sont touchées. Il perd toute représentation sur l’île de Beauté. Il perd 50 % de ses sièges en Rhône-Alpes, 46 % en Pays de la Loire, 41 % dans les Hauts-de-France, 33 % en Bretagne, 30 % en Occitanie, etc. (voir l’encadré avec tous les détails en page 3).

Dans l’ensemble ses résultats ne sont pas ou guère meilleurs qu’au premier tour, à la notable exception de la région Grand Est où, avec cinq points de plus (26 % contre 21 %), il semble avoir bénéficié d’un excellent report des électeurs de Florian Philippot qui lui-même n’avait pas donné de consigne de vote et avait déclaré qu’à titre personnel il refusait de choisir entre des candidats RN et LR également européistes et tous deux en faveur du passeport vaccinal. Le RN progresse également de six points en PACA mais là il s’agissait d’un duel et non d’une triangulaire. Il régresse en revanche assez nettement en Ile-de-France, perdant quelque trois points d’un dimanche à l’autre, la crainte de voir la première région de France aux mains de personnalités et de mouvements très à gauche avec le trio Bayou-Pulvar-Autain a sans doute conduit une partie de ses électeurs du premier tour à se reporter sur la liste de Valérie Pécresse. Le président de Debout la France, Nicolas Dupont-Aignan, avait lui aussi appelé à voter Pécresse le 27 juin pour battre « les islamo-gauchistes ».

Mais la gifle la plus magistrale reçue par le RN et sa présidente lors de ce second tour concerne évidemment la région PACA. Alors que les sondages de l’entre-deux-tours prédisaient un duel très serré autour de 50 %-50 % et nourrissaient un vrai suspens, le résultat final est sans appel : alors que la participation a grimpé de 3 % en Provence-Alpes-Côte d’Azur d’un tour à l’autre, le président sortant Renaud Muselier l’emporte avec quinze points d’avance (57,30 % contre 42,70 %) sur le pauvre Thierry Mariani qui faisait peine à voir dimanche soir tant il se demandait ce qu’il se passait et pourquoi le ciel lui était tombé sur la tête. Ce duel entre ex-dirigeants du RPR gaulliste et chiraquien a donc largement tourné en faveur de Muselier qui avait certes réalisé l’union sacrée autour de lui, du Parti communiste et de la France Insoumise au Républicain Ciotti, de Bernard Tapie qui, subclaquant et quasiment sans voix, a appelé à battre Mariani, à l’ancien président Nicolas Sarkozy qui, dans Nice Matin, a dénoncé entre les deux tours la “trahison” de Mariani qui fut son ministre et qui est désormais pour la retraite à 60 ans alors qu’il avait fait avec lui la retraite à 62 ans. L’ex-chef de l’Etat avait aussi mis en garde contre la perte d’attractivité de la région sur le plan économique et touristique en cas d’accession du RN à la tête de la PACA, et nul doute que cet argument habile a dû porter chez les électeurs travaillant dans le secteur privé et chez les seniors disposant de quelques biens et peu désireux d’être victimes d’une gestion aventurée des deniers.

AU-DELÀ des résultats désastreux du RN partout en France, ce qui devrait inquiéter les dirigeants du Rassemblement national, c’est que la stratégie de dédiabolisation n’a nullement rendu inefficace ou obsolète le Front républicain. D’après les sondages sortis des urnes, plus de la moitié des électeurs de gauche en PACA se sont reportés sur la liste Muselier, alors qu’ils auraient pu s’abstenir ou voter blanc ou nul. Le retrait de la liste de Jean-Laurent Félizia, qui avait obtenu près de 17 % des suffrages au premier tour, a donc parfaitement fonctionné. Alors même que Marine Le Pen a tout trahi, tout abandonné, tout renié, les électeurs de gauche ne lui en savent nullement gré. Ils continuent à voter massivement contre son parti si on le leur demande au nom du réflexe antifasciste, et même si le RN n’a évidemment rien à voir, ni de près ni de loin, avec un mouvement fasciste, non plus d’ailleurs qu’avec un mouvement de droite de conviction. Si même en PACA, région où il avait les meilleures chances d’emporter une région, le RN est très nettement battu, comment croire que Marine Le Pen puisse remporter la présidentielle qui est dans neuf mois et demi, les 10 et 24 avril 2022 ? D’autant qu’à la défaite des régionales s’ajoute la déroute des départementales.

Non seulement le RN ne place dans son escarcelle aucune région ni aucun département, mais il perd les deux tiers de ses cantons. Il cède tous ses cantons dans l’Aisne et dans l’Oise, en perd la moitié dans le Pas-de-Calais et n’en conserve qu’un seul dans le Var, celui de Fréjus. Aux départementales de 2015, il avait conquis 31 cantons et obtenu 62 conseillers départementaux. Il n’en obtient cette fois que treize et dispose de 26 élus. Il perd donc plus de la moitié de ses élus. La baisse du nombre de ses sièges est de 30 % aux régionales et de 60 % aux départementales, ce qui est considérable. Même les mairies FN ne font pas toujours recette : si le RN obtient deux cantons à Hénin-Beaumont et à Béziers, en revanche il est battu dans les six cantons de Perpignan alors même que Louis Aliot est le maire de la ville. 252 conseillers régionaux sur 1910, 13 cantons sur 2059, c’est bien peu pour un parti qui se voulait il y a peu encore le premier parti de France et qui voyait déjà son chef à l’Elysée.

Le RASSEMBLEMENT National tient son XVIIe congrès à Perpignan les 3 et 4 juillet. Convaincue que son parti obtiendrait des résultats exceptionnels tant aux régionales qu’aux départementales, conquérant plusieurs conseils régionaux, Marine Le Pen pensait qu’elle arriverait triomphante au congrès, qu’elle s’y ferait applaudir à tout rompre, qu’elle pourrait exhiber son sourire carnassier et tranquillement céder pour quelques mois, le temps de la présidentielle, la direction du mouvement au juvénile Jordan Bardella (qui lui aussi a pris une claque en Ile-de-France avec 10 % des voix !) Las, l’ambiance pourrait être lugubre et l’assistance maigrelette. Les élus et les salariés du mouvement seront certes contraints de venir (ils ne lui diront rien en face, vu son autoritarisme qui confine à la tyrannie, mais ils s’exprimeront sans doute « en off » dans la presse !) En revanche, il est douteux que beaucoup de militants fassent le déplacement, alors qu’ils sont démobilisés, dépités, découragés voire écœurés par le résultat. On ne peut en permanence offrir des défaites à ses militants.

Or force est de constater qu’en bientôt un demi-siècle d’existence le Front national, devenu le RN, n’a connu quasiment que des défaites, souvent cuisantes. Hormis l’élection de quelques députés nationaux et européens, de conseillers municipaux et régionaux et la prise de quelques mairies qu’il n’a pas toujours su garder, tant s’en faut, il n’a jamais obtenu la gestion d’un exécutif régional ou départemental, non plus que des responsabilités nationales, et alors même que le pays est au bord de la ruine et du chaos. Mais autrefois, même s’il perdait, et même s’il était loin d’être parfait, le FN pouvait rester digne car il n’avait pas trahi les fondamentaux, il ne tenait pas le même discours que ses adversaires, il osait aborder les questions qui fâchent, il ne cherchait pas à tout prix à plaire aux media, aux lobbies, aux puissants. Il était signe de contradiction. Il est aujourd’hui signe de compromission, de soumission et d’abdication.

IL NE FAUT pas compter sur Marine Le Pen pour se remettre en question. Sur France Inter, le 23 juin, elle a encore redit que sa ligne était la bonne et qu’elle n’en changerait pas. Quoi qu’il advienne, ce n’est jamais de sa faute, c’est toujours celle des autres. Tout lui est dû. Le vote des électeurs qui sont des ploucs et des ingrats s’ils ne déposent pas un bulletin RN dans l’urne : comment sauver des gens qui ne veulent pas l’être a-t-elle déclaré, dépitée, au soir du premier tour, en tirant comme une possédée sur sa cigarette électronique ? Oui, absolument tout lui est dû. La présidence du Front national. La présidence de la République. Les dons, les prêts, les adhésions. Le dévouement inconditionnel des permanents et des militants. Tout lui est dû mais elle, en fille gâtée et pourrie, elle n’a aucun devoir. Elle peut toiser, comme elle le faisait naguère, les députés du groupe FN en 1986, ne pas saluer les militants, les membres du DPS, se montrer hautaine et arrogante, renier tout le programme historique de la droite nationale. Le combat contre le Grand Remplacement (qui pour elle est un mythe et la marque d’une terminologie et d’un esprit complotistes !) Le combat contre l’avortement, le Pacs, le “mariage” homosexuel, la théorie du genre et toutes les folies LGBT (sur France Inter, mercredi dernier, elle a dénoncé le fait qu’en France dans certains quartiers les homosexuels « ne pouvaient pas se donner la main dans la rue », voilà où en est le parti fondé par Jean-Marie Le Pen !). Le combat contre les lois Pleven et Gayssot, contre l’inquisition fiscale, contre la persécution des automobilistes. Le combat contre la tyrannie sanitaire. Le combat contre l’union européenne, l’euro, Schengen, la cour européenne des droits de l’homme qui impose les migrants, le passeport vaccinal et se fait le porte-voix du lobby LGBT. Le combat contre la falsification de notre histoire à propos de la Révolution française, du maréchal Pétain et de Vichy, de l’Indochine et de l’Algérie françaises, etc. Le combat contre le crime et la barbarie avec le rétablissement de la peine capitale pour les assassins et les terroristes.

Marine Le Pen a tout liquidé, et à l’arrivée l’échec est total. Elle connaît à la fois la défaite et le déshonneur. Et cette énième défaite est celle de trop. Elle était inattendue. Elle fait donc d’autant plus mal. Mais elle est totalement méritée. Elle est logique. A force de tout trahir, de tout renier, de changer de ligne (un jour contre l’euro, un jour pour l’euro, un jour contre Schengen, un jour pour, etc.), à force d’être terne et lisse (« vous êtes molle, Madame Le Pen, je suis plus à droite que vous » a pu lui dire Gérald Darmanin, le vibrionnant ministre de l’Intérieur lors d’un récent débat télévisuel !), la présidente du RN a fini par décourager ses électeurs les plus fidèles d’aller glisser un bulletin dans l’urne au nom de son parti. Nous connaissons de nombreuses personnes qui, jusque-là, malgré toutes leurs réserves contre Marine Le Pen, avaient quand même voté pour son parti. Cette fois-ci elles sont restées chez elles, tant elles ne reconnaissaient plus le mouvement qu’elles avaient aimé, servi, en lequel elles avaient cru. Lorsqu’on fait perdre toute espérance à ses troupes, qu’on les désoriente, qu’on les démobilise, qu’on les écœure, on ne mérite pas de les diriger. On doit partir. C’est ce que Marine Le Pen aurait déjà dû faire après le débat calamiteux et indigne du 3 mai 2017, où elle avait montré à des millions de téléspectateurs ébahis et saisis son vrai visage, étalé son incompétence, sa désinvolture, son arrogance, multiplié ses grimaces et rires mécaniques, compulsé nerveusement des dossiers qu’elle n’avait ni compris ni étudiés, confondant SFR et Alstom, l’écu et l’euro, la buvette et un débat présidentiel. Chacun pouvait mesurer ce soir-là combien cette femme incapable et indigne n’avait rien à faire en politique, qu’elle n’était nullement à sa place et que celui qui l’avait imposé contre l’avis de son mouvement, de ses lieutenants, de ses militants historiques portait une écrasante responsabilité dont il est impossible de l’excuser politiquement, intellectuellement et moralement. D’autant plus qu’il ne s’en est jamais publiquement excusé ni expliqué.

JEAN-MARIE LE PEN aime à répéter qu’il a commis « une erreur de jeunesse » en ne se présentant pas à la présidentielle de décembre 1965 en lieu et place de Jean-Louis Txier-Vignancour. Selon lui, cette erreur a fait perdre vingt ans au mouvement national qui n’a émergé en France qu’au milieu des années 1980. Mais que dire alors de la faute majeure, elle, de maturité et donc parfaitement inexcusable, qui a consisté à imposer sa fille pour sa succession par tous les moyens ? Y compris les plus choquants. En 1997, alors que le congrès de Strasbourg n’a pas choisi Marine Le Pen parmi les 100 candidats élus au comité central, il la repêche sur sa liste personnelle, appliquant déjà une préférence familiale qu’il poussera très loin par la suite. Début 1998, alors qu’elle a lamentablement échoué comme avocate (elle n’a dans les faits jamais travaillé de sa vie !), Jean-Marie Le Pen la fait embaucher au Paquebot, le siège national du FN à Saint-Cloud, avec un salaire très élevé pour un temps partiel. Dans les coursives du Paquebot, elle poursuit de sa hargne les mégrétistes, épluchant leurs ordinateurs, leurs dossiers, créant une ambiance détestable de flicage et elle joue un rôle de pousse-au-crime dans la scission fin 1998.

En 2003, alors que le congrès de Nice qui fêtait les trente ans du Front national avait placé à la première place du comité central Bruno Gollnisch et relégué sa fille Marine à la 34e, Le Pen père se fâche tout rouge. Pour celui que ses détracteurs surnomment « Jean-Marie Le Paon », s’en prendre à sa fille, c’est l’attaquer, lui ! Comment ose-t-on lui faire subir un tel affront, à lui, Le Pen ? La réaction du président du Front national était stupéfiante et navrante car c’étaient généralement les cadres et les militants les plus attachés politiquement et affectivement à Jean-Marie Le Pen qui avaient une grande méfiance (justifiée) à l’égard de sa fille dont ils avaient compris qu’elle n’avait pas les idées de la droite nationale et que sa “dédiabolisation” conduirait à la trahison des fondamentaux et, à moyen ou à long terme, à la mise à mort du mouvement, comme celui de Gianfranco Fini en Italie, un Fini dont Jean-Marie Le Pen avait souvent dénoncé à juste titre les trahisons et les reptations. Qu’à cela ne tienne : Le Pen s’obstina : « critiquer ma fille, c’est m’attaquer moi ! Ah, ils ne veulent pas de ma fille. Eh bien je vais la leur imposer quand même ! » Et c’est ainsi qu’il l’imposa, en piétinant les votes et aspirations des congressistes de Nice en 2003, à la vice-présidence du Front national, où elle n’avait manifestement rien à faire. De là elle multiplia les attaques, tantôt sourdes, tantôt publiques, contre la délégation générale et le secrétariat général dirigés par Carl Lang et Bruno Gollnisch. C’est également à cette époque que Jean-Marie Le Pen, visant Gollnisch, disait aux journalistes du Système qui s’en léchaient les babines : « Le destin des dauphins, c’est de s’échouer ». Dans la salle où il accueille les journalistes lors du congrès de Nice, visant Gollnisch, Le Pen entonne en latin l’introït de la messe de requiem, voulant montrer par là que jamais Gollnisch ne lui succédera, que son ambition de le remplacer un jour à la tête du FN est mort-né.

En 2004, Le Pen père fait encore plus fort : il impose en Ile-de-France aux régionales, puis aux européennes, sa fille, alors même qu’elle se présentait jusque-là dans le Nord. En 2006, il la nomme directrice stratégique de sa campagne présidentielle. Ce fut un désastre. Les premières trahisons programmatiques et doctrinales commencent là, cinq ans avant l’accession de Marine Le Pen à la tête du FN. Pendant cette lamentable campagne présidentielle de 2007, tout y passe, c’est le grand chelem : Beurettes en string sur les affiches, discours de Valmy et de la dalle d’Argenteuil sur « les branches de l’arbre France », discours plus qu’équivoques sur l’avortement et sur le Pacs, éloge de la laïcité et des valeurs de la République, abandon du programme sur l’inversion des flux migratoires, lissage du discours et des propositions. Moyennant quoi, le résultat est un désastre : 10 % des voix à la présidentielle, 4 % aux législatives. Sarkozy est triomphalement élu à l’Elysée. A la gicle électorale s’ajoute le désastre financier : il faut se résoudre à vendre le Paquebot.

Jean-Marie Le Pen va-t-il en tirer les conséquences et cesser de mettre Fifille en avant ? Que nenni ! Bien au contraire. Lors du congrès de Bordeaux fin 2007, il nomme Marine Le Pen aux affaires intérieures et délègue Gollnisch aux affaires extérieures. A Marine Le Pen le parti, au fidèle dauphin l’étranger. Les départs et purges se succèdent. Les compagnons les plus fidèles de Jean-Marie Le Pen sont écœurés, déboussolés. Ils partent ou sont exclus. En voulant à tout prix imposer sa fille, Le Pen père a détruit les forces vives de son mouvement, en a tué l’âme. Il ne restait à Marine qu’à clouer le cercueil et à le mettre en terre, mais le mal était déjà fait, le forfait accompli, le crime signé. Par pur narcissisme, par orgueil, par volonté de garder le magot électoral, le financement public et les mandats électifs et rémunérateurs au sein du clan familial, il a préféré sacrifier, apparemment sans le moindre remords de conscience, les Holeindre, les Reveau, les Lehideux, les Marie-France Stirbois, et tant d’autres, qui avaient toujours été à ses côtés, y compris dans les jours sombres, quand il subissait d’odieuses attaques médiatiques ou que le mouvement subissait des échecs. Et ce n’est pas faute de l’avoir prévenu, mis en garde. Le fidèle Roger Holeindre était allé le voir : « Ta fille n’a pas tes idées. Avec ses pédés, elle te chassera du parti que tu as fondé ». Roger, il allait au but ! Mais il n’y avait rien à faire. On était face à un mur. La courageuse Marie-France Stirbois, qui ne reculait pas devant les hordes de banlieue qui la poursuivaient à Dreux pendant ses campagnes électorales, expliquait qu’il fallait essayer de créer une cellule psychologique auprès de Le Pen pour contrer l’influence funeste de sa fille. Mais, ajoutait-elle dépitée, on ne peut pas lutter. Sa fille habite chez lui à Montretout. Elle le voit tous les jours. Que peut-on faire ? Comment peut-on lutter ? Alors qu’elle était atteinte d’un cancer du péritoine en phase terminale dont elle allait mourir le dimanche de Pâques 2006, Le Pen père, avec une rare élégance, la traitait de “mémère” quelques semaines plus tôt dans une émission de radio où l’on entendait très distinctement les gloussements de sa fille Marine, visiblement satisfaite de la formule. Marie-France Stirbois avait osé s’opposer à sa fille, le père l’avait alors exclue sans ménagement du bureau politique du FN et de toute responsabilité. Comment ose-t-on s’en prendre à sa fille ?

LORSQUE Le Pen père annonça qu’il ne se représenterait pas et qu’il y aurait donc un congrès de succession à Tours en janvier 2011, qui fut en fait un congrès de donation, ce fut bien pire encore. Tout, absolument tout, fut fait pour imposer sa fille et faire perdre Gollnisch. On multiplia les vexations, les humiliations, les pièges à son endroit et à l’égard de ses soutiens. On changea le corps électoral du Front national, en ouvrant des adhésions à bas prix sur Internet pour noyer les militants de toujours dans l’afflux de nouveaux arrivants qui n’avaient jamais participé aux combats et épreuves du Front national et qui souvent n’en avaient même pas les idées. Les personnes qui recevaient les adhésions au siège national étaient toutes marinistes. Des photos ont circulé où on ne voyait à côté d’elles que la photo de Marine et non celle de Gollnisch. A la télévision seule Marine Le Pen était invitée et appelait les téléspectateurs à voter pour elle en adhérant en masse sur Internet, sans même parler de son concurrent. La directrice de campagne de Gollnisch s’en étonna auprès d’Arlette Chabot de France Télévision, cette dernière lui répondit sans vergogne : « Nous, on a choisi Marine Le Pen ! » La réponse avait au moins le mérite de la clarté. Ce choix s’expliquait-il par les mœurs saphiques de Chabot qui affectionne les camionneuses au côté hommasse ou est-ce tout simplement parce que les media avaient compris que Marine Le Pen avec sa dédiabolisation allait neutraliser et vitrifier la droite nationale ?

Lors de son meeting de campagne à Villepreux, Le Pen avait interdit que Gollinsch utilisât la flamme tricolore. Il avait également exigé que le directeur de RIVAROL fût chassé, ce qui fut fait, certes courtoisement, car j’avais été coupable, ô crime impardonnable, d’avoir attaqué frontalement Fifille en disant d’elle, ce que je répète bien volontiers onze ans plus tard, qu’elle est une femme « sans foi ni loi, sans doctrine, sans idéal, sans colonne vertébrale, pur produit des médias, qui a multiplié les purges et dont l’entourage n’est composé que d’arrivistes sans scrupules, de juifs patentés et d’invertis notoires ». Ce qui est la parfaite et stricte vérité. De crainte que Gollnisch ne l’emporte, Le Pen père avait également imposé de fournir un curriculum vitae pour qu’on puisse contrôler, et donc au besoin refuser, les adhésions de gens suspectés d’après leur profil de voter pour Gollnisch. Un certain nombre d’adhérents, pourtant à jour de cotisation, n’ont pas reçu le matériel électoral pour voter. Dont le docteur Dickès et son épouse. Dont ma moitié. Dont d’autres militants. Nous avions fourni les attestations en justice car Jean-Marie Le Pen nous avait attaqué pour diffamation, réclamant 50 000 euros de dommages et intérêts parce que nous avions vertement critiqué le fait qu’il imposât pour sa succession sa fille, pourtant parfaitement incapable et indigne. Nous avions écrit dans un article polémique que dans cette affaire Le Pen père se comportait en « satrape oriental » et en « grand mamamouchi ». Ce n’était pas bien méchant, mais celui lui avait fortement déplu. La vérité fait mal !

Lorsqu’en 2015 sa fille l’a exclu, ce qui était certes moralement abject car elle devait tout à son père, ce dernier n’avait finalement reçu que la monnaie de sa pièce, personne au sein du mouvement ne l’a défendu car tous ceux qui auraient pu le soutenir, il les avait exclus, fait ou laissé partir pour imposer sa fille. Il est vrai que Le Pen père n’a toujours jugé les gens qu’à l’aune de leur servilité. C’est pourquoi tous ces courtisans l’ont trahi et abandonné en 2015, de son directeur de cabinet Alain Vizier à son avocat Wallerand de Saint-Just en passant par son compagnon de croisières Jean-Michel Dubois. Nous espérions toutefois qu’étant exclu il comprendrait enfin et cesserait de soutenir sa benjamine. Las, il n’en a finalement rien été. Il l’a soutenue publiquement à toutes les élections, lui a prêté des millions d’euros, via Cotelec, pour la présidentielle et les législatives de 2017. Il y a quelques semaines encore, il osait déclarer que sa fille « faisait jusque-là un sans faute ». Dans une vidéo, interrogé par le Parti de la France, il a eu le toupet de déclarer que depuis le départ de Philippot, le FN avait renoncé à ses dérives. Alors qu’au contraire le départ forcé de Philippot a aggravé les renoncements. Sur la question de la souveraineté nationale et sur celle des libertés face aux confinements. Lorsque Le Pen a été exclu, il disait que Philippot en était le principal responsable, et non sa fille. Comment peut-on être davantage de mauvaise foi ? Comment peut-on s’aveugler à ce point ?

Encore récemment Le Pen père « déconseillait amicalement » à Eric Zemmour de se présenter à la présidentielle de 2022 pour ne pas nuire à sa fille. Jamais Jean-Marie Le Pen n’a exprimé le moindre regret public d’avoir imposé sa fille à la tête du mouvement. Jamais il n’a reconnu qu’en agissant ainsi, il commettait une très grave faute qui s’apparente, qu’on le veuille ou non, à une trahison. Le mot hélas n’est pas trop fort. Cela n’enlève rien par ailleurs à son extraordinaire talent, aux discours magnifiques qu’il a pu prononcer, aux justes prévisions et diagnostics qu’il a pu faire dans bien des domaines sur le plan politique, mais c’est néanmoins la douloureuse vérité. Et hélas, même sur le plan sociétal, il n’est hélas pas toujours plus solide que sa fille : en 2017, il se prononçait ainsi pour l’union civile des homosexuels, en 2019, il se disait dans Le Figaro favorable à l’extension de la procréation médicalement assistée aux lesbiennes car, disait-il, « mieux vaut un enfant sans père que pas d’enfant du tout ». Et en avril de cette année, toujours dans Le Figaro, il se disait « en partie favorable à l’euthanasie ». Une euthanasie que toutefois, on le constate, à 93 ans, il ne s’applique pas à lui-même ! Difficile en tout cas de tenir des discours plus éloignés de la morale chrétienne ! Comme quoi il ne suffit pas de faire dire des messes tridentines aux BBR et de se dire disciple de Jeanne d’Arc pour rester fidèle au catéchisme de son enfance !

LES JOURS S’ANNONCENT bien sombres pour le camp national toutes tendances confondues, et plus généralement pour notre pays car on ne se relève jamais de l’abandon des principes. Mais que ces échecs et ces lamentables trahisons nous conduisent à suivre toujours et partout les principes et non les princes, à clamer à temps et à contretemps la vérité. Car on peut chercher à la mettre sous le boisseau, à l’occulter, à l’arranger, tôt ou tard elle finit par éclater, se venger, elle irradie et sa lumière est impressionnante. Comme à la corrida, nous vivons aujourd’hui la minute de vérité. Nous avons souvent été bien seuls, très isolés, dans notre combat frontal depuis de très longues années contre Marine Le Pen et ses trahisons. Que d’injures et d’attaques n’avons-nous pas subies, y compris de là où on ne les attendait pas ! Mais qu’importe, nous disions la vérité. C’était notre honneur. C’était notre force. Et aujourd’hui très franchement nous préférons être à notre place, nous qui n’avons jamais varié sur la personne et sur l’action funestes de Marine Le Pen plutôt qu’à la place de ceux qui l’ont encensée jusque-là, multipliant les dithyrambes, par intérêt, par facilité ou par bêtise, et qui commencent seulement depuis ce deuxième tour, mais ô combien tardivement, à changer un peu de ton.

Le marinisme n’aurait pas fait autant de mal, n’aurait pas neutralisé, détruit, liquéfié la quasi-totalité de la mouvance nationale s’il avait été combattu pied à pied, sans compromission, de face, depuis le début. Las, nous n’avons pas été nombreux dans ce combat. Et le pire, c’est de constater que des publications se revendiquant explicitement du catholicisme traditionnel ont eu jusque-là les yeux de Chimène pour Marine Le Pen parée de toutes les vertus et de tous les mérites malgré ses positions publiques en faveur de l’avortement, du Pacs et du “mariage” homosexuel, et bien qu’elle ait transformé le FN en lupanar pédérastique. Nous ne pouvons ici, faute de place, citer tous les organes qui se sont déshonorés dans cette affaire mais un sort doit être fait au quotidien Présent qui depuis des années s’est surpassé. Qu’on nous permette de citer, à titre de bêtisier, les propos dithyrambiques que son directeur, Francis Bergeron, écrivait le 7 mars 2017 en page une (mais on pourrait en citer bien d’autres du même acabit, ainsi que des unes, comme celle-ci, de 2017 : « Marine ou le chaos » !). Sous le titre « Mobilisation générale », Bergeron osait écrire : « Il n’y a qu’un seul candidat, à droite, — et même dans tout l’échiquier politique français — qui ait une stature d’homme d’Etat, c’est elle (Marine Le Pen). » Et d’ajouter doctement : « Pour ceux qui ont étudié l’histoire de notre courant politique — le courant identitaire et patriotique, pour faire simple —, jamais nous n’avons eu de tête de file de la qualité de Marine Le Pen. Le moment est tout simplement extraordinaire. » Difficile d’aller plus loin dans l’indignité intellectuelle et dans la vile flagornerie ! Si le RN doit se remettre en question (ce qu’il ne fera évidemment pas), ses soutiens éditoriaux gagneraient eux aussi à la faire. Car, disons-le, la débâcle politique, intellectuelle et morale dans le camp dit national est quasiment totale.


Jérôme BOURBON, RIVAROL N°3478 DU 30 JUIN 2021

 

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