Le gaz russe et l’Ukraine : une perspective moyen-orientale
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Le battage médiatique en Occident concernant les plans de la Russie pour s’emparer de Kiev et ses autres « projets » a suscité des réactions et des commentaires dans les milieux politiques et les médias du Moyen-Orient. Parmi ceux-ci, les récits de la propagande menée par les États-Unis concernant la prétendue intention de Moscou d’utiliser son gaz comme une arme géopolitique et l’étranglement du gaz que la Russie aurait mis au cou de l’Europe font l’objet de débats animés.
À cet égard, un certain nombre de commentateurs arabes se souviennent du slogan du « gaz de la liberté ». Et en effet, à l’époque, le président américain Donald Trump vantait le gaz liquéfié américain qui était censé libérer le Vieux Continent de sa dépendance à l’égard de la Russie.
Comme le rapporte Al-Arabiya, suite à ces plans, en janvier, les États-Unis ont représenté 45 % des fournitures de GNL arrivant en Europe depuis l’extérieur (près de 12 milliards de mètres cubes). Washington veut mettre à l’écart le gaz russe alors qu’il cherche d’autres sources d’approvisionnement en gaz.
Une autre motivation découle de la pression croissante exercée sur l’administration américaine en termes de demandes de réduction des exportations de cette matière première afin de compenser la flambée des prix sur le marché intérieur. Pour cette raison, les États-Unis cherchent d’autres sources de gaz, notamment au Moyen-Orient, une région qui représente 15 % de la production mondiale de gaz naturel.
Quant à la position des producteurs arabes, comme le rapporte l’auteur saoudien, par rapport à la Russie qui couvre 40% de la consommation de gaz en Europe, les approvisionnements de l’Algérie ne représentent que 8%, tandis que le Qatar compte pour 5%, suivi de la Libye. La façon dont les exportateurs de gaz locaux réagissent à cette évolution peut être estimée par les réactions des médias du Moyen-Orient.
Selon le ministre libyen du pétrole et du gaz, Mohamed Aoun, son pays est impuissant à influencer la crise du gaz en Europe pour en atténuer les souffrances. Le gaz libyen qui, à l’époque, était acheminé vers l’Europe via le gazoduc Greenstream reliant la Libye et l’Italie, ne sert plus qu’à alimenter les centrales thermiques locales.
Pour l’instant, l’Algérie ne pourra pas se substituer au gaz russe en cas de pénurie pour une raison simple : une grande différence dans les volumes de production des deux pays. Objectivement, l’Algérie manque de ressources à cette fin, déclare un ancien responsable de la société algérienne SONATRACH. Le Qatar est le deuxième exportateur mondial de GNL, c’est pourquoi Washington mise beaucoup sur Doha pour écarter la Russie sur le marché européen du gaz.
Certains chercheurs s’interrogent sur les chances que le gaz qatari devienne une alternative au combustible russe, citant les plans ambitieux de Doha pour augmenter considérablement ses capacités de production et d’exportation de GNL dans les années à venir. D’autres experts du Moyen-Orient ont toutefois exprimé leur prudence à cet égard.
75 % du GNL qatari est exporté vers les pays asiatiques : Japon, Corée du Sud, etc. 90% des livraisons sont des contrats à long terme. L’année dernière, en particulier, la Chine et le Qatar ont signé le plus gros contrat de ce type. Cela signifie que seule une infime partie du gaz qatari est vendue sur le marché au comptant.
Selon un analyste de BCS Global Market, cité par la source arabe, il est nécessaire de transférer la moitié du GNL consommé par l’Asie vers l’Europe pour remplacer Gazprom. Le ministre de l’énergie du Qatar, Saad Al-Kaabi, a souligné que Doha considérait ses contrats de gaz comme « sacrés » et que le respect des obligations contractuelles était la priorité de la nation.
Le cheikh Mohammed bin Abdulrahman Al-Thani, ministre qatari des affaires étrangères, a déclaré que le Qatar ne « fera pas partie d’une quelconque forme de conflit et de polarisation politique ». Quant à la concurrence énergétique, elle est ouverte alors que le Qatar entend rivaliser avec la Russie, les États-Unis et d’autres producteurs.
En outre, le Qatar exige de s’abstenir de revendre le gaz qu’il fournit, un comportement auquel se livrent certains pays européens, afin de transférer le combustible aux pays asiatiques dans l’optique d’un profit excessif.
Dans le même temps, comme le rapporte le média arabe, de manière générale, le gaz russe par gazoduc a un avantage sur le carburant qatari. Cette méthode est plus pratique et plus rentable, car le gaz par gazoduc ne nécessite pas de liquéfaction, de transport maritime sur de longues distances et d’équipements onshore coûteux pour recevoir et stocker le combustible.
Les analystes exhortent également à tenir compte de la volonté de l’Europe de s’appuyer davantage sur le gaz, car le secteur de l’énergie verte prévoit de ne plus utiliser de charbon au cours des prochaines décennies. En outre, la consommation de gaz au Moyen-Orient augmente de 4,6 % par an, ce qui constituera une cause compréhensible de réduction des exportations en provenance de cette région. Ces dernières années, Washington a été rongé par l’idée de devenir un hégémon de la sécurité énergétique mondiale, en repoussant l’indépendance énergétique de l’Europe et ses liens avec la Russie, notamment dans le secteur du gaz. Sous la dernière administration américaine, Washington était déterminé à trouver une alternative au gaz russe, mais a échoué lamentablement.
Le politologue égyptien part du principe que la réalité géostratégique prédétermine les liens économiques bilatéraux imminents entre la Russie et l’Europe. Ces dernières années, même lorsque l’Europe a imposé des sanctions à la Russie, celles-ci n’ont pas affecté le secteur du gaz.
Pour l’Europe, l’abandon du gaz russe s’avérera problématique, car une telle décision nécessiterait beaucoup de temps et d’efforts pour la construction d’une toute nouvelle infrastructure permettant de recevoir, de traiter et de distribuer le GNL aux consommateurs. Pour la Russie, un tel rétropédalage (une question sur laquelle les experts occidentaux aiment s’attarder) serait suicidaire.
De plus en plus d’analystes du Moyen-Orient s’accordent à dire que l’hystérie des auteurs agités au sujet de l’invasion et de l’occupation de l’Ukraine par la Russie a atteint son sommet.
Le média émirati conclut que la Russie est déterminée à éviter la guerre qui l’éventrerait et l’exposerait aux yeux de la communauté mondiale comme un violateur des normes juridiques internationales…
Mais, comme le veut la métaphore, si un couteau est mis sous la gorge de la Russie, celle-ci aura certainement recours à des mesures militaires pour se protéger à long terme et protéger ses frontières orientales de l’empiètement occidental. Malgré la menace de sanctions sévères et d’autres risques, cette nation a, à l’avenir, beaucoup plus à gagner qu’à perdre.
Article traduit par Arthur du Réveil des Moutons
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