Que tout change pour que rien ne change
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« Qu’est ce que le suffrage universel ? C’est l’élection du père par les enfants. » Léon Bloy
Le (bon) cinéma possède d’immenses vertus, au premier rang desquelles celle de donner, subtilement, par petites touches, des parcelles de vérités inaccessibles aux masses biberonnées de catéchisme démocratique, hautement subversives pour qui veut bien se donner la peine d’y réfléchir. C’est-à-dire pas grand monde.
En somme, le strict contraire de l’élection, haut lieu de la démagogie, de la médiocrité érigée comme horizon indépassable, prime décisive au charlatanisme. Tocqueville et tant d’autres l’ont magistralement démontré depuis au moins trois cents ans. Qu’importe, l’armée des médiocres solidement encadrées par la multitude des imbéciles formeront toujours, à toutes les époques, l’immense majorité. Précisément celle qui décide de l’issue des scrutins. Faiseur de princes borgnes, au royaume des aveugles.
Et si cette démonstration ne vous a pas convaincu chers lecteurs, je vous invite à lire La note sur la suppression générale des partis politiques de Simone Weil, implacable plaidoyer contre la logique partisane consubstantielle à la dite démocratie représentative.
Mais revenons-en au titre de cet article, célèbre formule du non moins célèbre film Le Jaguar qui s’est, hier, dès l’annonce de la dissolution de Macron, rappelé à mes bons souvenirs :
Il semble donc que les consultants hors de prix du cabinet McKinsey, les éminences grises de notre président fantoche et ses conseillers plus ou moins occultes (tous les Alexis Kohler de ce monde) connaissent leurs classiques et ont estimé que la situation politique de la province France nécessitait quelques réajustements. Afin, précisément, que tout change pour que rien ne change.
En premier lieu, cette annonce a eu pour effet notable d’éclipser quasi totalement les résultats de cette élection. Singulièrement en France, mais plus largement dans les autres pays européens. Je note au passage, qu’en dépit de l’orthodoxie européiste consistant à expliquer depuis des décennies contre toutes réalités objectives de l’importance de cette construction technocratique qu’est l’Union européenne, qu’il n’en est rien. Le peuple français reste focaliser sur ses enjeux de politique intérieure, nationale donc.
https://www.vie-publique.fr/en-bref/294559-elections-europeennes-2024-les-resultats
Ce scrutin ne fut en définitive qu’un plébiscite contre le gouvernement « français » actuel, un énième épisode de chaises musicales sur fond de mélodie électorale visant à remplacer les uns par les autres. Un banal épisode de restructuration du petit personnel politicien dont le point d’orgue sera l’élection législative à venir.
A n’en pas douter, et à mon grand désespoir, la participation devrait être élevée d’ici trois semaines tant la fièvre électorale semble étreindre les français, hypnotisés par la promesse des urnes, le changement, enfin, par le truchement du bulletin de vote. Election magique à pleins tubes. Acte de foi.
« Les moutons vont à l’abattoir. Ils ne disent rien, et ils n’espèrent rien. Mais du moins ils ne votent pas pour le boucher qui les tuera et le bourgeois qui les mangera. Plus bête que les bêtes, plus moutonnier que les moutons, l’électeur nomme son boucher et choisit son bourgeois. »
Octave Mirbeau, dans La Grève des électeurs, nous éclaire davantage que tous les éditorialistes stipendiés, les politologues du régime, les commentateurs autorisés. A mille lieues des véritables enjeux stratégiques pour cette république vermoulue, des innombrables tractations partisanes déjà à l’œuvre, des querelles d’épiciers, des comptes d’apothicaire, le citoyen (parait-il) va vouloir voter utile. Oxymore.
En bon chien de Pavlov, il votera sur injonctions cathodiques pour ce qu’il estime être ses intérêts, sans jamais s’interroger sur la pertinence du prêt-à-penser politico-médiatique, sous-bassement frelaté de sa réflexion. Sans jamais s’interroger si tous ces boutiquiers électoraux ne seraient pas finalement tous les détaillants du même grossiste. L’étiquette peut varier, la devanture aussi, pas la camelote.
Dissolution de l’Assemblée nationale: la majorité « ne présentera pas de candidat » aux élections législatives contre des députés sortants « faisant partie du champ républicain », annonce le ministre Stéphane Séjourné à l’#AFP pic.twitter.com/KOJ95wgZHs
— Agence France-Presse (@afpfr) June 9, 2024
Comme à la parade, voilà refleurir « le champ républicain », le documentaire animalier sur les castors et leur barrage arrive très prochainement, pour finir en apothéose avec la bête immonde.
Vous pensiez en avoir fini avec cet interminable navet jusqu’en 2027, c’était sans compter sur le miracle démocratique.
L’atavisme des masses n’est plus à démontrer (lire Gustave Le Bon) de sorte que cette narration manichéenne pour enfants passablement attardés va littéralement nous submerger durant les prochaines semaines : les méchants sont aux portes du pouvoir, nous les gentils devons nous mobiliser !
Méchants racistes, fascistes, nationalistes pour les uns, méchants gauchistes, antisémites, socialo-communistes pour les autres. Faites vos jeux, rien ne va plus.
Cette dissolution de l’assemblée dite nationale m’apparait comme le parachèvement de la dissolution de la France qui, vous le savez, n’est plus à mon sens une nation, mais un conglomérat d’individus atomisés, lessivés, démoralisés qui ne partagent plus rien et qui se tolèrent mutuellement de moins en moins.
Tous ces antagonismes (culturels, politiques, ethniques, sociaux, religieux) qui traversent les sociétés françaises (lire à ce propos Jérôme Fourquet, L’Archipel français) sont par ailleurs savamment et constamment alimentés et instrumentalisés par le système politico-médiatique à des fins de micro-management, de manipulations.
Diviser pour mieux régner et agiter le peuple avant de s’en servir.
Macron, provocateur né et incendiaire patenté, marche désormais dans les pas de Talleyrand et à y regarder de plus près, il retourne simplement à la seule chose qu’il sait faire :
Son calcul est simple, sur base des sondages et de la dynamique actuelle, il offre sur un plateau une majorité partielle ou absolue (seule incertitude à ce stade) au RN qu’il prétend combattre par ailleurs. Le théâtre démocratique dans toute sa splendeur !
Ainsi il brade sa faible majorité, balance sous le train ses députés croupions afin de capitaliser pour la suite de son agenda.
Je n’entrerai pas dans de savantes hypothèses stratégiques visant à démonétiser les dirigeants indigents du RN dans le cadre d’une cohabitions (jurisprudences Chirac/Mitterand ou Jospin/Chirac) en vue de 2027.
Ni sur l’opportunité de confier la gestion économique et financière plus que périlleuse des trois prochaines années à la prétendue opposition que représente la clique de la « Madone à pédés », selon la savoureuse expression de feu Frédérique Mitterand.
Ni sur l’intérêt de prouver leur incompétence (est-ce bien utile ?!) en matière d’immigration et de sécurité, seuls véritables points de divergence entre ces deux partis, à grands renforts de reportages sur la future police de Marine Le Pen, nouvelle Gestapo en gestation, ou par le truchement de spectaculaires décisions judiciaires (conseil d’Etat, conseil constitutionnel, Cour Européenne de Justice, etc.) visant à empêcher le traitement des questions migratoires (en admettant qu’ils essayent).
Ce qui est certain en revanche, c’est qu’en cas de majorité relative, le cirque législatif actuel serait prolongé, avec le jeu des partis, des alliances, des combines. De sorte que le pays serait ingouvernable hormis sur les prérogatives présidentielles.
Au premier rang desquelles les affaires extérieures, et donc la guerre dramatique en Ukraine. Un parlement incapable de s’opposer aux provocations de Macron, incapable de se dresser face à cette folle escalade initiée par ce sociopathe depuis plus de deux ans : en 2022 la France livrait des gilets pare-balles et des casques, à cette heure, Zelinsky a obtenu des avions de combat français, des instructeurs sur le sol ukrainien et Macron envisage d’y envoyer l’armée…
Le tout, pour faire bonne mesure, au profit d’un dirigeant qui a reporté sine die les élections dans « son » pays, lui le défenseur universel de la démocratie et de la liberté (de crever dans la boue les tripes à l’air).
En cas de majorité absolue, je vous laisse chers lecteurs à votre imagination. Une sorte de 21 avril perpétuel, le bruit des bottes de Jordi et de l’amatrice de vin blanc au petit déjeuner dans les médias de gauche. Les cris d’orfraie de Cnews sur le péril gauchiste (et antisémite).
Bref, une crise politique qui va aller en s’accélérant, avec son lot de violences, de spasmes, d’émeutes, d’instabilité chronique.
Sans bien entendu aucune amélioration du quotidien de ces millions de braves électeurs dont la gueule de bois démocratique, une fois de plus, ne se démentira pas. Comme un air de déjà vu.
Et cerise sur ce gâteau indigeste en diable, l’antifascisme d’opérette quasi un demi-siècle plus tard :
Tout change pour que rien ne change. Définitivement.
Article écrit par Jules
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