Bienvenus au dîner du Siècle !
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Bonsoir ! Qui êtes-vous ? Le quoi ? Braillez pas tous en même temps s’il vous plaît je ne comprends rien. Vous êtes le convoi de quoi ? De la liberté ? Jamais entendu parler… Encore une invention du bas de l’échelle.
Non, attendez ! N’entrez pas ! Pas si vite braves gens ! Point de précipitation ! Oui bienvenus bien sûr, Chers Citoyens ! Oui ! Quel plaisir inattendu de vous recevoir ici aussi nombreux ! Mais restez là, sur le pas de la porte s’il vous plaît, je dois vous expliquer deux ou trois choses avant tout.
Comme vous le savez sûrement, »le Siècle » n’est qu’une simple association inoffensive de bons vivants, un club soit disant un peu élitiste fondé en 1944. Sa seule et unique activité est d’organiser innocemment, chaque mois, un dîner entre ses membres comme ce soir, dans le seul but de passer une soirée sympathique. Alors oui d’accord certains mauvais esprits, quelque peu complotistes sur les bords quand même, mettront un doute sur l’honnêteté de ce club qui n’a été fondé, je le répète, que pour divertir ses adhérents. Ils y voient, parait-il, une filouterie de plus afin de passer outre les lois démocratiques.
Pour rassurer ceux qui ne sont rien, nous rappelons tout de même que vous avez une chance unique de vivre en démocratie républicaine et que c’est de loin le meilleur système politique qui puisse exister pour vous et vos enfants. Soyons clairs entre nous ! Il est tout à fait interdit d’agir de quelle que manière que ce soit sans le consentement de notre peuple bien-aimé ! Nous mettons également un point d’honneur à appliquer la règle d’égalité pour absolument tout le monde ! Nous portons passionnément les principes d’égalité dans notre cœur. Pardon ? Oui, c’est vrai… l’accès à notre club est strictement interdit aux sans dents… Mais c’est un autre sujet. Bref, passons, cette remarque ne fait que nous diviser et n’a pas lieu d’être… Ce n’est pas le sujet…
Alors oui, certes, ne sont membres de notre modeste club que des hauts fonctionnaires, des hommes politiques de tout bord, des grands patrons, des présidents de banques centrales, des journalistes, des éditeurs, des économistes, des artistes engagés, des dirigeants syndicaux et autres grandes personnalités du monde judiciaire, mais je tiens personnellement à vous assurer que tout ceci est bon enfant. Nous passons nos soirées à créer des liens, renforcer nos projets communs et… euh non ! Nous passons nos soirées à nous raconter des blagues potaches, boire quelques verres de champagne rosé premier prix de chez Armand de Brignac et entamer des danses des canards endiablées, le tout dans une ambiance joviale et enthousiaste de queue leu-leu sous les confettis totalement inconvenants aux sujets plus sérieux, je vous le garanti.
Vous voyez bien qu’il est tout à fait inutile de vous faire du mouron quant à la tenue de ces dîners et je vous prie de croire que ce n’est pas parce que le misérable petit peuple n’est pas invité que nous lui cachons forcément des choses ! Nous, les grands de ce monde, sommes justement très déçus par les suspicions dont nous sommes régulièrement et illégitimement victimes. Qu’est-ce qu’il y a de mal à vouloir s’amuser un peu ? Hein ? Enfin, voyons ! Pourquoi est-ce que cela vous choque que deux présidents de partis politiques adverses dînent et trinquent côte à côte lors de nos soirées mondaines pendant que leurs »fans » se mettent sur la gueule dehors ? Qu’est-ce qu’il y a de mal à voir un haut représentant syndical, une personnalité politique, un économiste, un PDG de la banque centrale européenne et un grand patron d’entreprise se trémousser ensemble sur »Et quand il pète il trou son slip » ou faire une grande ronde façon french cancan, chapeau pointu sur la tête, pour ensuite partager en toute innocence, je vous le promets sur ma vie, leurs numéros de téléphone quand une affinité se créer ? Tout cela est bien normal voyons, admettez-le au moins ! Ceci est dans la nature humaine, et même les personnes les plus importantes de ce monde n’y coupent pas. Il faut se divertir ! De plus, cela ne vous est-il pas plaisant d’observer quelques brides d’unité chez vos maîtres, quand vous, vermine populaire, n’êtes capables que de division ! Pour autant, cela est inconcevable de remettre en doute leur intégrité en allant supposer qu’ils en profiteraient pour faire évoluer leurs propres intérêts au détriment des vôtres, ceux des petites gens. Leurs fidèles serviteurs qui leur sont entièrement dévoués par le vote ! Voyons ! Nous ne sommes pas des monstres tout de même ! Être amis et partager de temps à autre des moments de complicités fraternelles devant une coupe de crème glacée à la fraise saupoudrée d’éclats de feuilles d’or ne veut pas dire que nous n’hésiterons pas à remettre cette amitié en doute quand les intérêts de notre obéissant peuple seront bafoués. Comment pouvez-vous oser imaginer de tels actes de notre part ? Immondes fascistes !
Calmons-nous… Calmons-nous et reprenons nos esprits. Pensez-vous sincèrement que nous ferons passer notre argent avant le vôtre ? Hein… Bon… Euh… Et bien… Non… Je… Je ne crois pas… Tout ceci n’est pas sérieux. Il ne faut pas voir le mal partout. Nous sommes des professionnels, l’élite indiscutable de la démocratie. Nous faisons la fête et dînons à la même table, je vous l’accorde volontiers, mais nous n’oublions pas que dans la vraie vie, nous sommes souvent opposés et nous nous battons avec la plus grande sincérité pour sauvegarder vos intérêts. Et si quelques fois, sur les plateaux télé, il nous échappe de nous appeler par nos prénoms alors que nous sommes censés nous affronter, ne nous en tenez pas rigueur, je vous en conjure. J’en appel à votre compréhension cher peuple, il n’est pas toujours facile de vous faire croire…Euh… De s’opposer loyalement lorsque pas plus tard que la veille au soir, nous nous prenions les uns les autres dans les bras, animés d’une belle et franche camaraderie, festoyant gaiement devant un bordeaux séculaire grisant et une succulente assiette de foie gras lors de ces bons vieux dîners du Siècle. Soyez certains, petit peuple, que nous savons faire la part des choses et que nous trinquons à l’unisson à vos déboires.
Voilà… En toute simplicité quoi. Ah ! Ce n’est pas trop tôt ! ! J’aperçois enfin les services de sécurité qui accourent pour vous embarquer en garde à vue si vous ne voulez pas rentrer chez vous de votre plein grès. J’espère que ceci n’effritera pas la confiance aveugle que vous nous portez chers électeurs. L’entrée dans ce dîner vous restera démocratiquement interdite encore une fois ce soir, j’en suis tout à fait navré, croyez-moi. Mais n’oubliez pas que l’arme la plus efficace pour lutter contre les racistes, les intégristes et autres complotistes farfelus qui vous pourrissent la vie est d’aller voter pour les candidats que nous vous avons choisi avec soin aux prochaines élections présidentielles ! Grâce à votre vote, nous sommes… Euh… Vous êtes intouchables ! Ne l’oubliez jamais !
BBBrrrrrr … Bon allez ! C’est pas que vous m’emmerdez, mais je retourne à l’intérieur avec mes amis hauts placés et plus intéressants, on se les gèle un peu dehors et… euh… Mon caviar va refroidir, voilà ! Oula ! Doucement Messieurs les CRS, ce n’est peut-être pas la peine de cogner si fort, ils sont bêtes mais pas bien méchants. Ah ? Si vous pensez que c’est nécessaire de frapper si fort ? Après tout, c’est vous les garants de nos libertés n’est-ce pas ? Les fameux gardiens de la paix ! Alors soit, faites comme bon vous semble !
Bon cette fois-ci, je vous laisse entre vous les gueux, amusez-vous bien !
Allez salut ! Bonne soirée ! Vive la démocratie ! Vive la république !
Article écrit par Augustin
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